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Jugement de la League[]

Candidat : Talon

Date : 23 Août, 20 CLE

OBSERVATION

Talon entre dans le grand hall, méfiant, le regard droit devant lui. Qui ne le connaît pas le penserait négligent, mais ses observateurs sont perspicaces, ils savent que Talon est attentif à chaque détail de son environnement.

Talon est concentré, pourtant son esprit est ailleurs. Il avance rapidement vers les lourdes portes et les regarde, impassible. Il voit bien au-delà de la chambre. Ce qu'elle recèle est une étape inévitable, mais pas un obstacle. Lame en main, il entre sans un moment d'hésitation.

RÉFLEXION

Talon était allongé au sol, le visage dans la poussière, sur les dalles noires. Il retrouvait lentement ses esprits, une sensation à la fois : la puanteur des égouts, puis les hurlements (« Au voleur »), puis les murs du cul-de-sac et ses décombres pourrissants.

Il n'eut aucun mal à identifier l'endroit. Il ne connaissait que trop bien cette allée, comme tous les bas-fonds de Noxus.

Talon se redressa sur les mains et les genoux. Ses bras et ses jambes, noircis par la saleté, étaient couverts de blessures fraîches. La clameur des hurlements approchait, et il savait en être l'objet. « Trouvez ce garçon ! »

Talon jeta un coup d'œil autour de lui, cherchant à juguler sa panique. Il aperçut ce qui semblait être une planche pourrie, couverte de déchets et d'ordures, dans un angle obscur du cul-de-sac. Rassemblant tout ce qui lui restait de vivacité, Talon s'élança, se saisit de la planche et la déplaça. Un petit passage caché jusque-là par la planche passait sous le mur et plongeait dans la pénombre. Tous les membres lui faisant mal, Talon se faufila et se laissa tomber dans l'ouverture, avant de replacer la planche au-dessus de lui.

Il s'appuya contre un mur aux relents de moisissure, tandis qu'à l'extérieur les bruits étouffés prenaient de l'ampleur. Il resta totalement immobile jusqu'à ce que ses poursuivants se dispersent et que les clameurs se taisent.

Talon essayait de retrouver son souffle. L'air moite qu'absorbaient ses poumons dégageait des relents de pourriture et des odeurs de rats crevés. Tandis que l'adrénaline refluait lentement, il se rendit compte qu'il était affamé, et furieux.

« Où donc était Kavyn ? » murmura-t-il pour lui-même, le regard plongé dans les ténèbres.

Le plan était pourtant simple. Leur cible était un maraîcher dont l'étal se trouvait à la lisière du marché. Kavyn devait donner le signal et, tandis que Talon s'emparait de tout ce qu'il pouvait, Kavyn devait créer une diversion pour lui permettre de d'échapper. Il avait bien vu le signal, mais il n'avait pas fini de remplir sa besace que la moitié des marchands et des acheteurs avaient les yeux fixés sur lui. Qui plus est, dans sa fuite éperdue au milieu des bas-fonds, il avait perdu son sac.

Talon n'avait rien gagné à l'aventure que faim et douleur, et son cœur était rempli d'amertume.

Talon commença à ramper dans le passage. Bien vite, le sol sous ses genoux et ses paumes devint humide et froid : il avait atteint le vieux conduit désaffecté qui menait aux chambres souterraines de Noxus, lesquelles conduisaient au réseau des égouts.

Ce n'est pas la première fois que Kavyn m'abandonne ainsi, pensait Talon en descendant toujours plus bas dans le labyrinthe glacial. Affaibli et affamé, il ne pouvait s'empêcher de repenser à toutes les fois qu'il avait réussi seul, sans s'appuyer ni ne se reposer sur personne.

Le conduit s'ouvrit enfin sur une petite chambre dotée de meubles improvisés et couverte d'ordures. Au fond de la chambre, ou un rebord tenait lieu de mur, un ruisseau noir charriait les déchets de Noxus hors de la ville. Talon se contorsionna dans l'étroit conduit et se laissa tomber au sol.

« Tu es revenu ! »

Talon se retourna. Kavyn se tenait contre le mur, sous l'ouverture du conduit, une allumette en main. La lame tremblotante révéla un garçon à peine plus âgé que Talon, et tout aussi sale, tout aussi dur, les cheveux châtains en bataille.

« Où est-ce que tu étais ? » lança Talon.

« Aucune importance », fit Kavyn en lâchant l'allumette sur un petit tas d'ordures à ses pieds, qui s'enflamma aussitôt et projeta des ombres mouvantes sur les murs. « Tu as récupéré quelque chose ? »

« Un sac de baies de Kumungu », répliqua froidement Talon. « J'ai dû le lâcher en tentant de m'enfuir. »

Il vit une expression de malaise passer dans les yeux de Kavyn, et il constata soudain que leur caisse de marchandises volées, dans un angle de la chambre, était presque vide. « Oh. »

« Où est-ce que tu étais ? »

Son aîné leva les mains. « Attends une minute ! » fit-il. « J'ai quelque chose. » Kavyn tira sur sa ceinture de cuir usé, dévoilant deux fourreaux à ses côtés que Talon n'avait encore jamais vues. Kavyn en sortit une paire de courtes dagues. Leurs lames brillaient comme l'or dans l'éclat frémissant des flammes et les yeux de Talon s'agrandirent.

« Écoute », reprit Kavyn, attirant à lui le regard ébloui de Talon. « Nous pouvons les vendre. Ce n'est pas grave que tu aies perdu la nourriture. »

Talon frémit, mais ce commentaire injuste le toucha moins qu'il n'aurait dû. Il regarda de nouveau les coutelas que Kavyn tenait précautionneusement, comme si les lames menaçaient de lui ouvrir les paumes au moindre geste.

« Je les ai dérobées à un soûlard près de la taverne du marché », expliqua Kavyn. « C'est là que je me trouvais. Je me suis dit qu'on avait de quoi manger pendant quelques jours, de toute façon, hein ? Et… »

Il continuait de se justifier, mais Talon n'écoutait plus. Il tendit la main vers l'une des dagues. Quand il l'eut en main, Talon se rendit compte aussitôt de sa médiocre qualité et de son manque d'équilibre. On pouvait au mieux s'en servir pour découper sa viande, sûrement pas pour se battre. La lame était entaillée par trois brisures, et Talon y passa doucement le doigt, juste assez pour en éprouver le tranchant : une, deux, trois. La sensation de l'objet dans sa main l'enivrait. De tenir cette dague, il se sentait plus puissant.

Kavyn ne parlait plus, il se penchait vers la caisse pour en extraire leurs dernières pommes de terre. J'ai presque été pris par la foule en délire à cause de ce petit imbécile, pensait Talon, un feu d'amertume et de rage au ventre. Il savait que, pris, il aurait été exécuté, car telles sont les mœurs de Noxus.

Talon fit à nouveau courir les doigts sur les entailles de la lame. Les mœurs de Noxus… Il en avait souvent entendu parler, au gré des murmures de la ville. Seuls les forts survivent aux bas-fonds. Les armes étaient chéries, les armes (même une simple paire de dagues) étaient la clé de la survie. Un autre dicton lui revint soudain à la mémoire : les forts ne comptent que sur eux-mêmes.

Talon serra brusquement la dague dans son poing et fit un geste pour planter la lame dans la gorge de Kavyn…

…mais l'adolescent se retourna et saisit lestement le poignet de Talon, bloquant l'attaque. Talon en fut pétrifié. Ça ne va pas, pensa-t-il. Il se souvenait pourtant de ce sang sur ses mains, il se souvenait avoir jeté le jeune corps frêle dans les égouts, premier cadavre d'une longue série.

Kavyn ouvrit la bouche, mais ce n'est pas sa voix qui retentit : « Pourquoi veux-tu rejoindre la League, Talon ? »

« Pour le Général Du Couteau », rétorqua Talon. La chambre exiguë des égouts s'effaça dans la pénombre. Talon sentit de nouveau le poids de son manteau de guerre sur ses épaules, tandis que l'illusion s'évanouissait. « Ma quête m'a conduit ici. »

« Tu ne combats que pour toi », affirma l'invocateur qui avait revêtu l'apparence de Kavyn.

« Tu n'as pas d'allié. Tu tues pour survivre, et pourtant tu suis ce Général disparu comme un chien suit son maître. Pourquoi ? »

Talon tenta de dégager son bras, mais il était paralysé : non par la force physique de l'invocateur, mais par quelque sortilège magique. « Je suis son débiteur. Le Général a épargné ma vie... »

« N'est-elle pas payée, cette dette ? Après avoir versé le sang de ce garçon nommé Kavyn, tu as juré que jamais tu ne servirais personne. Tu as tué sans remords, et comme tu as tué pour Du Couteau jusqu'à sa disparition, tu as reconquis ta liberté. Pourquoi veux-tu rejoindre la League, Talon ? »

« Vous ne comprenez pas », grinça Talon. « Dans les bas-fonds de Noxus, j'ai tué pour survivre. Au service de Du Couteau, j'ai tué en son nom, mais ma vie m'appartenait. Aujourd'hui je ne suis plus rien, et pourtant j'ai toujours mes lames. Quelle autre cause pourraient-elles servir ? »

« Quelle impression cela fait-il de partager ainsi ton esprit ? »

L'invocateur le lâcha. Talon s'effaça dans la pénombre, plongeant la chambre dans silence.

L'invocateur regarda autour de lui, inquiet, et sentit soudain la lame de Talon se poser sur sa gorge.

« Une impression déplaisante », murmura Talon à son oreille. « Nécessaire. » Et il disparut.
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